Au 1er janvier 2017, les collectivités ne pourront plus utiliser de produits phytosanitaires (aussi appelés pesticides) pour entretenir les espaces verts et la voirie : c’est l’heure du « zéro phyto ». Une vraie révolution des pratiques pour les nombreuses communes qui en ont un usage quotidien dans le cadre de l’entretien de l’espace public. Pourquoi a-t-on besoin d’une telle réglementation, et quelles sont les conséquences de cette mesure pour les habitants ?
Une nouvelle réglementation nécessaire et attendue
La France est le premier pays consommateur de pesticides en Europe et le troisième au niveau mondial, avec près de 80 000 tonnes utilisées par an. Actuellement, c’est plus d’un tiers de la surface du territoire français qui est soumis à un traitement phytosanitaire ! 90% de cette consommation est à incomber au secteur agricole : les produits permettant de lutter contre les nuisibles de l’agriculture (champignons, insectes, “mauvaises herbes”, etc.) se sont rendus indispensables dès leur arrivée sur le marché dans les années 1960. Combinés au bond technologique qu’a connu le secteur à cette période, les produits phytosanitaires ont permis de doubler la productivité des surfaces agricoles. On est alors entré dans un modèle productiviste, basé sur le rendement des parcelles cultivées. Et en matière de maximisation de la productivité des cultures, la France a su se distinguer puisqu’elle est aujourd’hui le premier producteur agricole européen.
Malheureusement, l’utilisation massive de ces produits a des conséquences écologiques graves. Pollution des eaux, de l’air, des sols, mortalité des pollinisateurs, perturbation des modes de reproduction des invertébrés… Et les impacts sur la santé humaine sont également connus : l’OMS considère que 20 000 à 200 000 décès annuels sont dus aux pesticides. Les aliments, l’eau et l’exposition directe sont autant de vecteurs par lesquels nous pouvons être contaminés.
Face à ce constat et aux mises en garde répétées des institutions de santé et de protection de l’environnement, les États ont décidé de prendre des mesures : en France, la réglementation s’est élaborée depuis 2008 avec la mise en place du Plan Ecophyto. Ayant pour objectifs de réduire la consommation nationale de produits phytosanitaires de moitié en dix ans, ce programme a permis de lancer un certain nombre d’expérimentations qui ont montré que, oui, il est possible de produire et de vivre sans pesticides. Et si une grande partie des mesures adoptées visent le secteur agricole, les villes sont elles aussi concernées. La loi Labbé du 6 février 2014 et la loi relative à la transition énergétique du 22 juillet 2015 ont changé la donne : désormais, les communes ont obligation d’adopter une gestion sans pesticides. Ce qui signifie que les équipes techniques en charge de l’entretien de l’espace public doivent repenser et réadapter leurs pratiques et leurs savoir-faire : fini l’épandage de produits, maintenant on défriche à la main et on laisse pousser la végétation spontanée pour des villes plus vertes, et surtout plus saines. Mais cette mesure change radicalement le paysage urbain, dont les massifs fournis et pavés enherbés perturbent les habitants et leur représentation de ce qu’est une ville propre et entretenue.
Nouveaux paysages urbains et acceptabilité sociale
Comme le mentionne un récent article paru dans la revue Sciences & Avenir, l’interdiction d’utiliser des pesticides pour les communes relève d’une révolution technique, mais aussi culturelle. Partout on entend les plaintes des citadins concernant ces rues devenues « sales », « mal entretenues » ou « négligées ». En effet, il peut être difficile pour les habitants de voir leurs quartiers et leurs villes changer d’aspect en quelques mois. Les traditions classiques de jardinage et d’aménagement paysagers sont ancrées dans les perceptions esthétiques des habitants, qui se trouvent souvent désemparés face à ces nouveaux paysages urbains.
Prenons l’exemple d’une rue de centre-ville (ici à Châtenay-Malabry, avant la mise en place du « zéro phyto ») :
Entre le trottoir et la chaussée, il est commun d’avoir ce type de massifs de fleurs. Ici, ils sont assez homogènes et sans « mauvaises herbes ». Les pieds d’arbres sont eux aussi vides de petites pousses, et on ne voit pas un brin d’herbe sur la chaussée non plus. Les espaces végétaux sont très bien délimités : ils sont créés et aménagés par la main de l’homme uniquement.
Dans les villes sans pesticides en revanche, la végétation spontanée reprend ses droits et l’espace public s’en trouve radicalement modifié :
On voit bien que les massifs et les pieds d’arbres sont plus divers, accueillant fleurs, arbustes et adventices. Les pavés et les grilles d’évacuation des eaux de pluie sont eux aussi enherbés. La végétation n’est pas uniquement présente là où on l’a plantée et choisie : elle s’installe un peu partout, rendant plus floue la limite entre espaces verts et espaces dédiés à la circulation. Au-delà de l’aspect esthétique, c’est bien un changement culturel qui s’opère pour les habitants, qui acceptent parfois difficilement l’intrusion du végétal dans leurs lieux de vie et de passage.
Sensibiliser par l’action : quelques pistes
Lorsqu’elles mettent en place leur plan « zéro phyto », les collectivités veillent à ce que les habitants en soient informés. Affiches, articles dans la presse locale, communiqués… Mais pour réellement sensibiliser les citadins à la nécessité d’interdire les pesticides, je crois qu’il est nécessaire de leur montrer que cette réglementation peut avoir des impacts positifs sur leur mode de vie. Et pour cela, quoi de mieux que de leur offrir des moyens d’agir et de participer ?
Une étude publiée en février dernier par les laboratoires Profilomic réalisée à partir de l’analyse des ruches de l’Opéra Garnier a montré que le miel produit dans des villes sans pesticides est de meilleure composition que le miel de consommation classique. Aucune trace d’hydrocarbures ou de métaux lourds, et seuls 2 polluants en très faibles quantités sont retrouvés dans le miel parisien, contre 35 polluants différents (en moyenne 5 par pot) et de nombreuses substances antibiotiques du côté des miels de grande consommation, selon une enquête de 60 millions de consommateurs. On entend beaucoup parler du développement des ruches en ville, installées par des entreprises souhaitant verdir leur image, des écoles, des collectivités ou même des habitants. Et si cette tendance était justement l’occasion de sensibiliser les citadins aux bénéfices de la ville sans pesticides ? Proposer la vente directe de miel de ville à un coût raisonnable ou accompagner l’installation de ruches d’entreprise par un programme de sensibilisation des salariés sont autant de moyens d’agir pour l’avancée des mentalités. Des ruchers pédagogiques existent déjà pour éveiller les enfants au rôle écologique essentiel des abeilles, mais compléter ce travail par une démarche s’adressant aux parents souvent soucieux de la qualité de leur alimentation quotidienne est une opportunité à saisir.
Encourager les citadins à se rassembler au sein de programmes de sciences participatives est un autre moyen de les sensibiliser aux bénéfices de la végétalisation spontanée dans les villes. Sauvages de ma Rue est à la fois un projet pédagogique et de recherche élaboré par Tela Botanica et le Muséum National d’Histoire Naturelle. Il est spécifiquement adapté au contexte urbain et s’adresse aux citadins qui souhaitent mieux connaître les espèces végétales présentes dans leurs quartiers. Le principe est simple : grâce à une application smartphone ou un guide papier, chacun identifie les plantes présentes autour de son lieu de vie et alimente les données cartographiées disponibles en ligne. Associant institutions scientifiques, grand public, scolaires et collectivités, ce programme offre de vraies possibilités d’échanges entre les décideurs et les habitants. Et comme il s’agit d’un outil ludique, il permet de sensibiliser plus facilement les participants aux enjeux du « zéro phyto ». Car sans pesticides, on trouve toujours plus de plantes à observer !
Si le « zéro phyto » obligatoire pour toutes les communes présente des difficultés techniques et d’acceptabilité sociale, il faut aussi laisser le temps se faire et les mentalités évoluer. Surtout qu’au 1er janvier 2019, ce sera au tour des particuliers : interdiction d’utiliser ou de détenir des produits phytosanitaires ! Pour les jardiniers amateurs qui ont l’habitude de passer un peu de Roundup, il sera alors indispensable d’apprendre les bases du jardinage écologique et de s’habituer à la métamorphose de leurs jardins.