En contrebas du Fort d’Aubervilliers, au pied de grands ensembles et à l’intersection de trois communes franciliennes (Aubervilliers, Bobigny et Pantin) se trouve une oasis : les jardins familiaux d’Aubervilliers, où des dizaines d’habitants des alentours cultivent leurs fruits et légumes. Depuis 1935, l’association des Jardins des Vertus gère 2600 m² de terre, répartis en 85 parcelles. L’accès aux lieux est réservé aux adhérents et à leurs invités : il ne s’agit pas de jardins partagés ouverts sur la rue tels qu’on les voit aujourd’hui en centre-ville, les Jardins des Vertus appartiennent au genre des « jardins familiaux ». Hérités d’un engouement né il y a 150 ans en pleine industrialisation des sociétés occidentales, ils représentent encore l’esprit de liberté et d’émancipation qu’on leur attribuait alors.
Des jardins ouvriers aux jardins familiaux
C’est à partir de la seconde moitié du 19e siècle que les bienfaits du travail de la terre sont vantés à la fois par les sociétés de bienfaisance chrétiennes, la doctrine terrianiste et l’éthique paternaliste des patrons de l’époque. On s’accorde à penser que les ouvriers citadins de la Révolution industrielle ont besoin d’un espace autre que leurs logements pour leurs loisirs et participer à la subsistance de leurs familles : des parcelles de jardins. Mis à disposition des patrons qui y voient une opportunité d’occuper les ouvriers pendant leur temps libre et les empêcher de consacrer du temps à fomenter des actions collectives qui mettraient à mal la hiérarchie, les parcelles de jardins à destination des ouvriers se développent rapidement.
L’expression de « jardins ouvriers » apparaît en 1890 pour désigner ces grands espaces de cultures divisés en parcelles rectilignes. Il s’agit à la fois d’une pratique individuelle de jardinage (chaque jardinier dispose de sa propre parcelle) et d’une gestion collective (ces parcelles sont situées dans un espace partagé, souvent géré par une association). La Ligue du Coin de Terre et du Foyer, qui joue alors le rôle de fédération des jardins ouvriers, recense en 1912 plus de 18 000 jardins. L’entre-deux guerres est une période décisive dans le développement des jardins ouvriers, où l’on dénombre 47 000 jardins en 1920 et jusqu’à 75 000 jardins en 1938. L’arrivée de la seconde guerre mondiale et les difficultés d’approvisionnement des villes en denrées alimentaires accroissent encore l’intérêt des citadins pour ces jardins : on arrive à la fin de la guerre à 250 000 jardins ! Ce nombre décline durant les décennies suivantes avec la construction de nombreux logements en zones périurbaines qui grignotent progressivement les terrains des jardins ouvriers.
Marquée par le paternalisme patronal de ses origines et le parrainage du Régime de Vichy pendant la guerre, l’expression de « jardins ouvriers » est peu à peu remplacée dans les années 1950 par celle de « jardins familiaux ». Toujours utilisé aujourd’hui, le terme désigne ces grands espaces de cultures généralement en zone urbaine ou péri-urbaine divisés en parcelles individuelles. Chaque famille possède un bout de terrain qu’elle est tenue d’entretenir et pour lequel elle paye une redevance. Ces jardins sont donc très différents des jardins partagés en cœur de villes, à la fois par leur gestion et par la surface des cultures. Fiers de ce patrimoine vert, les quelques 800 associations de jardins familiaux existant aujourd’hui doivent défendre leurs vertus environnementales, sociales et pédagogiques pour survivre aux projets d’aménagement du territoire.
Les Jardins des Vertus
Aux Jardins des Vertus d’Aubervilliers, les parcelles attribuées aux jardiniers sont grandes : entre 200 et 300 m² pour la plupart. Chaque parcelle dispose d’une cabane, souvent construite de bric et de broc et évoluant selon les envies des propriétaires successifs. Les parcelles sont délimitées par des clôtures avec portillons donnant sur l’allée commune. A la fois par les types de cultures qui y sont pratiqués et par l’aménagement des espaces, on remarque rapidement que toutes les parcelles sont différentes : certaines ressemblent à de véritables exploitations agricoles, bien organisées en lignes et minutieusement désherbées, alors que d’autres sont plus sauvages et allient la culture de comestibles avec des fleurs et des espaces en friches. Les adhérents sont tenus d’entretenir leurs parcelles, de risque de se les voir réattribuer par le bureau de l’association à de nouveaux adhérents plus motivés.
L’ambiance est paisible et familiale au Jardin des Vertus. Chacun s’occupe de son terrain, souvent avec des membres de la famille qui viennent aider ou se détendre. Les relations entre les jardiniers se résument la plupart du temps à des saluts cordiaux mais il arrive que des événements soient organisés sur la parcelle de l’association, c’est-à-dire un espace réservé aux petites fêtes et barbecues.
Selon la thèse menée au début des années 2000 par Françoise Dedieu, la plupart des adhérents vivent en appartement aux alentours. Les plus de 60 ans sont largement majoritaires, souvent retraités de métiers d’ouvriers ou d’employés. Autre caractéristique marquante des jardiniers : ils ont des origines culturelles très diversifiées. Marocains, Sénégalais, Chinois, Portugais, Espagnols, Italiens… Cette mixité transparaît dans ce que les jardiniers cultivent, chacun amenant de son pays d’origine des fruits et légumes typiques.
Un patrimoine menacé ?
Ces jardins ont bien de nombreuses vertus : ils permettent aux personnes isolées de sortir de chez elles et de rester actives, ils favorisent l’échange entre des voisins qui ne s’adresseraient peut-être pas la parole autrement et ils apportent une qualité paysagère et environnementale indéniable à ce contexte urbain. Pourtant, les jardiniers d’Aubervilliers sont régulièrement menacés par de nouveaux projets d’aménagement. Dernière inquiétude en date : le réaménagement du Fort d’Aubervilliers dans le cadre de la construction du Grand Paris.
Les Jardins des Vertus se situent entre deux chantiers majeurs du Grand Paris : d’un côté le prolongement de la gare du Fort d’Aubervilliers qui accueillera la ligne de métro Grand Paris Express à l’horizon 2025, de l’autre le réaménagement complet du Fort d’Aubervilliers notamment par la construction d’un écoquartier. Le chantier permettant d’accueillir la nouvelle station de métro a déjà démarré, et il implique d’ores et déjà de supprimer une partie des parcelles des Jardins des Vertus situées sur l’une des bordures extérieures. L’écoquartier, lui, a été conçu dans le cadre d’une concertation publique qui prévoit la préservation des jardins familiaux. Seulement, il est maintenant question de « désenclaver » l’écoquartier du Fort d’Aubervilliers en le reliant à la gare de métro de la future ligne 15 : comment passer outre les jardins familiaux qui sont précisément à cet emplacement ?
Les jardiniers inquiets ont commencé à organiser leur action : il n’est pas question pour eux de laisser disparaître peu à peu leurs parcelles de jardins familiaux, patrimoine historique et social d’Aubervilliers, au profit de nouvelles installations. Reste à savoir si leurs voix continueront d’être entendues par les aménageurs du Grand Paris.
13 réflexions au sujet de « L’esprit de résistance des Jardins des Vertus d’Aubervilliers »
J’ai visité ce jour les jardins avec ma famille. Ce sont de véritables bijoux à portée de la ville, un écrin de verdure, peuplé de jardiniers passionnés, accueillants, vivant en parfaite harmonie avec la nature.
Préservons ces jardins, témoins de notre histoire, ne laissons pas des projets urbanistiques remettre en cause le devenir de cette partie de notre patrimoine
Fabienne Hourquet
Il faut sauver cet oasis des Vertus !
J’étais un enfant d’Aubervilliers et suis de tout cœur avec les jardiniers. Halte au béton des technocrates qui ne comprennent pas le peuple.
Bien cordialement
Jean Becqueret
Faire une pétition pour sauver les jardins d’Aubervilliers
Hubert
Le monde est fou on veut agrandir une piscine et l’écologie on n’en parle on n’en parle on n’en parle on fait que d’en parler bah il est temps d’agir : il est grand temps d’arrêter de grignoter la terre et voir disparaître les jardins communaux.
Derrière une table y’a vraiment des gens stupides et avide d’argent. L’argent pourrit tout il faut lutter toutes vos forces et de diffuser les informations vraiment tout autour de vous pour faire bloc et garder vos jardins de Vie ! Christine Blaize Angers 49
Christine Blaize Angers 49
Vous ne croyez quand même pas qu’un jardin va sauver la planète ???
Et pourtant … Pas de vie animale sans vie végétale !
Je suis scientifique et chercheur indépendant sur le lien climat eau et biodiversité. J’essaie dans mon domaine (climatologie, météorologie et hydrologie) de rétablir la vérité sur la végétation et son rôle dans la régulation du climat !
Un air vicié contient 4 à 5 % de plus de dioxyde de carbone (CO2) qu’un air pur et donc, comme le dioxyde de carbone a pris la place de l’oxygène dans sa composition, l’air vicié contient 4 à 5 % de moins d’oxygène (O2) que l’air pur.
Une forêt absorbe du CO2 et libère de l’oxygène, une ville produit du CO2 et consomme de l’oxygène (moteur thermique et même respiration humaine); si on y ajoute les résidus de combustion (moteurs, chauffage, etc …) on a une bulle d’air vicié qui fragilise fortement la santé humaine. Les poumons sont une barrière de protection naturelle contre les virus, quand cette barrière est altérée par la pollution les individus sont plus fragiles, ce qui pourrait même expliquer en partie pourquoi le Covid touche plus les villes que les campagnes.
La forêt est un écosystème autonome qui a survécut seul pendant des millions d’années, la ville n’est pas un écosystème mais une invention humaine qui a les caractéristiques opposées à la forêt, elle a un bilan climatique bien pire qu’un désert de sable et affecte gravement la santé humaine.
La réduction des émissions de CO2 est primordiale en ville parce qu’il n’y a pas assez de végétation pour l’absorber et fournir de l’oxygène, à la campagne l’air n’est pas vicié parce que les surfaces végétales sont plus importantes que les surfaces artificialisées. Et encore une fois c’est la concentration urbaine qui pose problème !
Les surfaces végétales baissent l’albédo des sols, évacuent la chaleur (chaleur latente), absorbent du CO2, libèrent de l’oxygène, nourrissent et protègent toute la biodiversité sur les continents …
La caractéristique d’un désert c’est justement l’absence de végétation et donc de photosynthèse !
DENISE laurent
J’ai entendu l’information sur France-Inter. Je suis très triste pour ces personnes pour qui ces jardins sont un havre de paix et de convivialité, et sans lesquels ces jardiniers seront très malheureux. Je sais ce que procure un petit bout de terre pour se ressourcer, observer la faune et la flore, quel bonheur. Il faut arrêter ce projet FOU.
Mireille SAMSON
Moi aussi j’ai entendu l’information sur France Inter et je suis désolé en ces temps moroses d’apprendre cette nouvelle horripilante et dangereuse pour la cohésion sociale. C’est tellement important de faire vivre ces jardins ouvriers. L’association ne pourrait pas monter une pétition? Je suis certain qu’elle aurait de l’écho chez plein de gens concernés. Il y a bien d’autres terrains où construire ces foutues installations olympiques, non ?
Savard, Sylvain
Pense t-on à la biodiversité ?
Pense t-on à ces personnes qui vont se détendre dans leurs jardins, et qui s’en nourrissent ??
Je viens d’apprendre qu’à Senlis (situé à 50km au Nord de Paris) la mairie veut aussi prendre des terrains sur des jardins familiaux pour construire une piscine …
Après on se dit écolo, protecteurs de l’environnement
bauchart
Bonjour à tous
Je viens de voir que les jardins ouvriers de Aubervilliers été menacé pour faire une piscine et une salle d’entraînement pour les jeux olympiques je trouve ça inadmissible , dans ses cas la pourquoi il ne le font pas à Eurodisney sa va pas être la même parole laisser les gens vivre et arrêter de détruire la nature car un jour c’est elle qui va vous détruire , pensé à vous enfants et petits enfants Mme le Maire
thierry BANITZ
Solidaire avec tous ceux qui se battent pour faire perdurer ces jardins ouvriers. J’ai passé ma jeunesse dans ce quartier que je connais très bien. Depuis 25 ans, j’ai la chance d’avoir pu partir en zone rurale. Je me désole à chaque fois que je reviens dans la Seine Saint-Denis de mon enfance. J’ai 55 ans et pourtant j’ai connu les tracteurs à Drancy, les champs et les maraichers à Bobigny. Ces jardins sont des coins de patrimoine à protéger tout autant que des monuments historiques.
Fric avant tout certes pour les élus décisionnaires… Mais que la crise Covid serve au moins aux élus du Grand Paris à réfléchir à ce qui est le plus important aujourd’hui à la population quand elle est confinée chez elle… Voir des batiments vides parce que les gens sont condamnés au télétravail et des stades vidés de leur public ? Ou sera t-on et ou en sera t-on en 2024 avec le Covid ? Protégez cet espace d’air (presque) pur : ceux qui les cultivent, ceux qui les admirent enfermés depuis leur tour HLM aux Courtillières n’ont peut-être que ça pour avoir un peu de loisirs, un peu d’optimisme, un peu d’air, un peu de vie…
MARTIN Sabine
Concrètement, que peut-on faire en plus des commentaires attristés de constater une fois de plus la folie de nos dirigeants.
Voulez-vous des signatures à une pétition, voulez-vous quelques petits sous pour vous aider à vous défendre (si on multiplie les petits dons on peut peut-être financer une action …
Dites-nous. Si tous les gens révoltés font un petit geste, vous pourrez peut-être soulever cette montagne
Nicole
Bonjour,
Le combat des jardins urbains contre le béton est aujourd’hui central. Le jardin est dans le sens de l’histoire et le béton mène une guerre perdue mais encore très destructrice. Seul le profit financier peut encore motiver les acteurs du béton qui, comme les acteurs de l’amiante en leurs temps, bénéficient d’une lâche et misérable abdication des pouvoirs publics.
Il faut, pour mener ce combat, mettre en oeuvre les moyens de droit autant que les moyens militants.
Je suis à votre disposition pour toute action dans ce sens.
henri le roy
Je soutiens à fond la lutte des Jardins des Vertus d’Aubervilliers qui représentent une véritable culture populaire
La tradition de ces jardins est très ancienne puisqu’ils ont été fondés en 1896 par un prêtre, l’Abbé Lemire,. Ce prêtre est alerté par les conditions misérables des ouvriers, ayant quitté leur campagne pour travailler à la ville en usine pour des salaires misérables. Ces ouvriers vivent dans des logements petits et insalubres.
Ces jardins leur permettent à eux qui sont déracinées de pouvoir compléter leur maigres revenus par la production issue des jardins et de retrouver également un peu de leur terre et de l’air pur plutôt que de se retrouver au bistrot et de s’alcooliser.
L’ambiance des ces jardins est joyeuse et conviviale ; les personnes échangent des boutures, des graines. de l’aide pour les outils et la construction des cabanes ; légumes et arbres fruitiers s, récupération de l’eau, le lieu représente un havre de paix, de l’amitié et beaucoup de bienveillance.
En 2003, le terme officiel est « jardins collectifs ». Ces jardins sont devenus un patrimoine culturel, avec une qualité environnementale, des solidarités, leur groupement a conquis une légitimité dans l’espace urbain et constitue un véritable enjeu pour les pouvoirs publics.
Enjeu de paix citoyenne par la bonne ambiance qui y règne et par le calme de cette nature composée d’arbres, de fruitiers, de plantes, de légumes !
On se plaint beaucoup de l’atmosphère difficile, tendue et parfois agressive des banlieues du 93, mais si les personnes ont des occupations et des actions à réaliser, ils s’attellent à la tâche et retrouvent le calme et l’harmonie.
Vivent les jardins, qu’ils survivent longtemps !
Studer Jeanne