A l’occasion de ce nouveau confinement, pourquoi ne pas prendre le temps d’écouter un podcast sur l’avenir de nos villes et sur le rôle de l’agriculture urbaine dans leur approvisionnement alimentaire ?
J’ai eu le plaisir d’être invitée dans le podcast Villes, Vivants pour présenter les différentes manières de cultiver des comestibles en ville. J’y présente également le projet 13’Infuz – Les tisanes de la Petite Ceinture que nous portons avec l’association Urbanescence et grâce auquel nous produisons des tisanes 100% made in Paris.
J’ai eu le plaisir de rencontrer Elodie Lemière lors de la 10e édition de l’Ecole d’été sur l’agriculture urbaine de Montréal. Elle était en train de terminer un voyage d’apprentissage qu’elle s’était elle-même imaginé et organisé : son idée était de passer du temps dans plusieurs fermes urbaines et péri-urbaines en Amérique du Nord pour expérimenter l’agriculture urbaine et commencer à apprendre le métier de maraîchère. Une parenthèse dans la vie de cette chargée de mission d’aménagement au sein d’une collectivité territoriale d’Île-de-France.
Le wwoofing n’est pas récent (il est né dans les années 1970 en Grande-Bretagne) mais il connaît un succès croissant auprès des nouvelles générations de voyageurs car il permet de s’investir de façon éco-responsable, en rendant service localement et durablement aux agriculteurs. Cette démarche se pose loin de l’instantanéité du tourisme de masse et de l’absence de réel contact avec les communautés locales. Dans le cas d’Elodie, il permet aussi de découvrir un nouveau secteur professionnel et, pourquoi pas, de préparer sa reconversion !
La Ville Pousse – Qu’est ce que l’on appelle le wwoofing et pourquoi est-ce que cela t’intéressait ?
Elodie – Le wwoofing est un verbe inventé de l’acronyme World-Wide Opportunities on Organic Farms (WWOOF). Cela consiste à travailler en tant que volontaire dans des fermes en agriculture biologique en contrepartie de l’hébergement et des repas. J’ai rencontré des personnes m’ayant raconté leurs expériences de wwoofing, et j’avais envie de tester. J’ai tenté l’aventure cette année puisque cela coïncidait avec l’arrêt de mon contrat de travail. J’étais également en pleine réflexion sur mon avenir professionnel, j’ai alors décidé d’inclure le wwoofing dans le cadre d’un voyage « d’études » au Canada que je me suis construit.
LVP – Quel a été ton itinéraire ?
E – Je voulais à la fois revenir avec une expérience de wwoofing et à la fois apprendre sur l’agriculture urbaine en allant visiter Toronto, Montréal, Détroit et New-York. Sauf que j’ai dû revoir mon programme au cours du voyage et notamment renoncer à aller à Détroit par manque de contacts locaux.
J’ai commencé par Toronto, puis je voulais remonter vers le nord-est en direction de Montréal et ensuite finir mon voyage à New-York. J’ai dû également prendre en compte la durée du visa et la météo canadienne, c’est pour cela que je suis partie de juin à fin août.
A Toronto, j’ai été volontaire d’un jour dans deux fermes urbaines : « Black Creek Community Farm » et « Fresh City Farm ». J’ai complété cette expérience en rencontrant un membre du « Toronto Youth Food Policy Council » (TYFPC) à l’occasion d’un événement. Le TYFPC est une organisation qui vise à créer un modèle alimentaire juste et durable avec les associations de jeunes à Toronto. Cela n’existe pas en France et c’est bien dommage.
J’ai ensuite fait 9 semaines de wwoofing entre Toronto et Montréal dans trois fermes différentes : « Headwaters Farm » (ferme pédagogique et maraîchère en Ontario), « Edible Forest Farm » (ferme en permaculture et champignonnière en Ontario) et « la ferme aux Légumes d’hivert » (maraîchage bio en banlieue de Montréal).
J’ai ensuite complété ces enseignements en participant à la formation sur l’agriculture urbaine dispensée par l’École d’été d’agriculture urbaine (du 20 août au 25 août) à Montréal. J’ai terminé ce beau voyage en visitant New-York et notamment en allant sur un des sites de « Brooklyn Grange ». Il s’agit d’une ferme maraîchère installée sur un toit terrasse. C’était assez déroutant en étant sur ce site car il est possible de récolter du chou-kale tout en admirant l’Empire State Building.
LVP – Comment as-tu choisi les fermes dans lesquelles tu as été volontaire ?
E – J’ai contacté les fermes dès le mois d’avril, soit deux mois avant mon départ, sur deux sites internet connus : wwoofing et sur workaway (un site plus généraliste qui recense également des volontariats pour travailler dans l’hôtellerie). J’avais un cahier des charges bien précis :
la localisation de la ferme, devant être sur mon parcours entre Toronto et Montréal et majoritairement en partie anglophone pour améliorer mon anglais ;
les types d’activités différentes, pour avoir une vision large ;
ladurée du séjour dans les fermes, qui était de 3 semaines pour avoir le temps de prendre mes marques avec la famille et de partager des moments avec eux.
LVP – Est-ce que tu as vu des types de projets très différents ?
E – Je n’ai pas vu des projets différents dans les fermes, elles partageaient toutes le même état d’esprit qui est d’avoir une agriculture respectueuse pour le sol, pour la biodiversité et pour l’homme. J’ai ressenti une différence, et non une opposition, entre les fermes urbaines et les fermes péri-urbaines. Les fermes urbaines ont un rôle social plus fort que les fermes périurbaines. En effet, elles sont situées à proximité immédiate avec les habitants et elles peuvent aider à renouer avec la terre et sensibiliser à une alimentation saine. On ne peut pas les opposer avec les fermes péri-urbaines, car il y a là une vraie complémentarité. Les autres fermes situées généralement en banlieue ou en campagne ont un rôle d’approvisionnement en produits locaux que ne peuvent pas assurer l’agriculture urbaine. Les fermes péri-urbaines ont également leurs places et leurs rôles dans la pédagogie et dans la sensibilisation à l’alimentation locale et saine.
LVP – Quels types de tâches étais-tu amenée à faire ?
E – Une des tâches récurrentes, chronophage et commune aux fermes en agriculture biologique est le désherbage. C’est le gage de manger des produits sains et de bonne qualité. Mais j’ai pu effectuer d’autres tâches :
M’occuper des animaux (nourrir, nettoyer leurs lieux de vie etc…) ;
M’occuper de la maintenance de la champignonnière ;
Travailler sur l’exploitation maraîchère en participant du semis à la commercialisation sur le marché local, en passant par la récolte et à la préparation des paniers.
Le travail de maraîchage demande une bonne condition physique. Mais pour moi, la tâche qui a été la plus dure consistait à charger à la main environ 650 bottes de foin dans une grange pour nourrir les animaux de la ferme pédagogique ». Ce moment d’effort a permis de serrer des liens avec la famille d’accueil.
Tout n’est pas rose, il arrive que l’on nous demande des tâches qui n’ont rien à voir avec la ferme comme passer l’aspirateur dans le garage. Il faut alors savoir dire à l’agriculteur que l’on n’a pas traversé l’Atlantique pour faire ça.
LVP – Comment se sont passées tes relations avec les personnes qui t’ont reçues ?
E – Globalement j’ai eu de très bonnes relations avec les familles d’accueil avec qui je suis toujours en contact. J’ai eu une mésaventure dans une ferme au Québec. Je suis arrivée au moment où le couple était en train de séparer, et ils attendaient un enfant (elle était enceinte de 8 mois). J’ai été ballotée au sein du couple et un peu prise à partie dans les disputes. J’ai pu intégrer rapidement une nouvelle ferme, en l’occurrence chez une maraîchère. Nous avons énormément échangé sur le maraîchage (rotation des cultures, semis, qualité de la terre), finalement « c’était un mal pour bien ».
Il peut y avoir de temps en temps « des abus » sur le nombre d’heures travaillées. Il faut avant tout se mettre d’accord avec l’agriculteur. Ensuite, il faut accepter de ne pas compter ses heures à la minute près, et finir une tâche entamée si celle-ci est réalisable dans l’heure. En général, l’agriculteur est reconnaissant et rend « la pareille » par des attentions ou par une baisse de la charge du travail le lendemain.
LVP – Qu’est-ce que tu as appris sur l’agriculture en général, et urbaine en particulier, pendant ce voyage ?
E – J’ai appris que ces deux agricultures ne travaillent pas ensemble, ou du moins pas encore. L’agriculture urbaine peut apporter des compléments à la population locale là où l’agriculture péri-urbaine ne le fait pas, et inversement. Concernant l’agriculture urbaine, j’avais des questionnements et notamment sur la rentabilité de l’activité. J’ai pu échanger sur ce point de vue lors notamment de la semaine sur l’agriculture urbaine à Montréal, à l’occasion de rencontres avec porteurs de projets dans le domaine.
LVP – Qu’est-ce que tu tires aujourd’hui de cette expérience pour ton parcours professionnel ?
E – J’en tire des enseignements et des connaissances que je n’avais pas sur le maraîchage notamment. Je ne souhaite pas m’installer, pour le moment, en tant que maraîchère. J’ai pu avoir un aperçu de 9 semaines de culture. Il est nécessaire d’avoir un recul sur une ou même deux années pour se décider de se lancer à son compte. Je dirais que ce voyage m’a confirmé mon choix sur ma réorientation professionnelle qui est le domaine de l’agriculture, qu’elle soit urbaine ou périurbaine. Pour moi, l’agriculture est un levier indispensable pour repenser à un système alimentaire local.
LVP – Est-ce que tu recommanderais ce type d’expérience à une personne qui souhaite découvrir ou acquérir de nouvelles connaissances en agriculture urbaine ?
E – Bien sûr, je recommanderais cette expérience aux personnes qui souhaitent partager et s’enrichir par ce type d’expérience. Il ne faut pas faire du wwoofing dans l’idée de passer des vacances à moindre frais. Il faut y aller avec une ouverture d’esprit et un sens du partage. J’ai déjà en tête de nouvelles destinations de wwoofing pour poursuivre l’aventure.
> Pour reprendre la bonne idée d’Elodie et consulter les milliers d’opportunités offertes par le wwoofing, rendez-vous sur : http://wwoof.net/
A l’origine de ce projet, un lieu : l’Espace associatif Galibi de Saint-Laurent-du-Maroni, commune de 44 000 habitants. L’association Aprosep, qui fait notamment de l’accompagnement associatif et coordonne et les temps péri-scolaires pour la ville, assure la gestion de ce lieu. L’idée est venue il y a environ un an de tenter une expérience sur l’espace de jardin qui se trouve devant l’espace : un groupe d’une dizaine de volontaires a commencé à imaginer un potager adapté aux conditions climatiques locales qui pourrait constituer un espace d’expérimentation et de démonstration pour enfants et adultes.
Une inspiration précolombienne : le miracle de la terra preta
Floran, paysagiste et professeur d’EPS, et Johan, coordinateur pour Aprosep, ont contribué à impulser une dynamique autour de ce jardin participatif. Ils se sont pour cela inspirés des méthodes précolombiennes d’enrichissement du sol en reproduisant notamment ce que l’on appelle la terra preta. Il s’agit en fait d’amender le sol présent sur place – particulièrement sec dans les régions amazoniennes – grâce à un mélange de charbon, de compost et d’argile. La terra preta a permis aux populations précolombiennes de transformer le sol local très aride et peu productif en une terre fertile qui capte et conserve l’humidité, favorise le développement des bactéries et de la micro-faune et fournit les nutriments nécessaires aux plantes pour grandir et produire. C’est l’abondance des cultures sur ce sol amazonien originairement très pauvre qui a forgé le mythe de l’Eldorado et guidé les expéditions européennes à partir du 16e siècle à la recherche de ces civilisations. La colonisation de la région par les Européens a fait oublier pendant un temps cette pratique, mais la terra preta retrouve son utilité aujourd’hui dans les régions arides du Brésil, du Japon, d’Australie et d’Asie du Sud-Est. La terra preta est également vendue au Brésil de la même façon que du terreau.
Dans le jardin expérimental de Saint-Laurent-du-Maroni, la décision a donc été prise de faire plusieurs buttes de cultures en utilisant différents amendements : une butte « témoin » sans ajout particulier, une butte avec du charbon, des buttes avec de l’argile, de la sciure de bois, des résidus de canne à sucre et une butte avec la totalité de ces matériaux. Pour Floran et Johan, le constat est clair : c’est bien la butte où tous ces éléments ont été mélangés qui a permis de produire le plus de légumes. C’est donc cette terra preta « maison » qui va permettre de cultiver de façon productive sur ce petit jardin.
Adapter son potager aux conditions climatiques
Le climat équatorial de la Guyane garantit des moyennes de températures à peu près stables toute l’année (de 26°C à 33°C) et une alternance de saisons sèches et saisons des pluies. Ces contraintes climatiques ne permettent pas de concevoir un jardin participatif comme on peut le faire en France métropolitaine. Pour s’adapter au mieux aux conditions locales, les jardiniers ont donc fait appel à Kokopelli, association de promotion des semences libres, pour établir une liste de semis possibles : différentes variétés d’ananas, piments, papayes, aubergines, patates douces, giraumons (aussi appelés courges musquées)… Les variétés complémentaires ont été associées sur les buttes pour permettre une meilleure réussite des plantations. De plus, toutes les buttes ont été paillées afin de conserver l’humidité et de résister aux chaleurs extrêmes que peut connaître la Guyane en saison sèche.
Pour reproduire ces méthodes et gérer son potager sans produits phytosanitaires, il existe une série de fiches très bien faites mises à disposition par le réseau Graine de Guyane pour adapter ses méthodes d’agriculture au climat équatorial.
Un jardin aux vertus pédagogiques
Cette façon de concevoir et construire le jardin a pour objectif de mettre en valeur les connaissances et les pratiques locales. L’agriculture Bio a commencé à gagner du terrain en Guyane ces dix dernières années, mais elle reste encore largement minoritaire. L’idée sous-jacente du jardin de Saint-Laurent-du-Maroni est donc aussi de faire un espace de démonstration sans aucun ajout de produits chimiques pour apprendre aux enfants – mais aussi aux adultes – qu’il est possible de cultiver sans intrants, juste en s’adaptant au sol et aux conditions climatiques locales. Durant les temps péri-scolaires, les enfants vont pouvoir jardiner et contribuer à créer cet espace en compagnie de leurs animateurs. Par ailleurs, grâce à un partenariat avec une association locale, un espace de plantes médicinales va bientôt voir le jour dans la seconde partie du jardin. Une belle promesse pour ce groupe d’agriculteurs urbains guyanais !
Damien Deville, agro-écologue et anthropologue spécialisé en politique environnementale, mène actuellement une thèse à l’INRA de Montpellier et à l’Université Paul Valéry portant sur les pratiques d’agriculture urbaine dans les villes en crise en Méditerranée. Il observe et s’interroge sur l’émergence de pratiques citoyennes par les plus précaires dans des contextes de difficultés sociales et économiques provoquant un fort taux de chômage. Son travail permet de se demander si les pratiques de jardinage peuvent devenir des outils d’égalité sociale pour les plus précaires.
J’ai eu le plaisir de discuter de ces sujets avec Damien lors d’un entretien au mois de Mai 2017.
Lisa Bertrand – Ta thèse porte donc sur un type d’agriculture urbaine assez inédit ?
Damien Deville – Dans la littérature scientifique, on a tendance à diviser l’agriculture urbaine qui se passe dans les pays du Sud et celle qui se passe dans les pays du Nord. Dans le Sud on fait ça pour se nourrir, voire pour entreprendre. Au Nord, c’est plutôt des jardins potagers qui ne sont pas orientés sur la production mais qui tissent du lien social à l’échelle du territoire ou qui ont une portée éducative. Finalement nous on est parti de l’hypothèse que dans les villes en crise au Nord, on va avoir des formes hybrides entre ces deux modèles. Et c’est vraiment ce qu’il se passe : dans ces villes j’observe un gradient des pratiques de jardinage, de la production agricole au loisir. On va avoir par exemple des jardins familiaux très productifs, à tel point que l’on peut parler de formes entrepreneuriales. Les jardiniers passent l’équivalent d’un temps plein à leur pratiques d’agriculture urbaine et cherchent à en vivre, potentiellement à en tirer un salaire.
LB – Quand tu dis « jardin familiaux », tu penses à des parcelles individualisées par familles ?
DD – J’observe deux types de jardins familiaux, les premiers sont fédérés sous forme associative et sont en général d’anciens jardins ouvriers. Les autres sont de formes privées : sur des zones non constructibles, les particuliers propriétaires divisent eux-mêmes leurs jardins en parcelles individuelles qu’ils louent ensuite à d’autres personnes. Ce deuxième type est intéressant parce qu’on a affaire à des pratiques beaucoup moins encadrées et institutionnalisées, et surtout plus productives. On y voit aussi plus d’élevage, surtout des poules et des lapins.
LB – Comment des particuliers pensent-ils à louer leurs jardins privés ?
DD – C’est dû aux contextes locaux des villes où j’observe ces pratiques, Alès et Porto. Ce sont deux villes très différentes mais qui sont toutes les deux actuellement dans une phase que l’on peut qualifier de crise économique, si l’on tient compte du taux de chômage et des indicateurs de précarité. A Alès, les personnes qui louent ces terrains sont installées sur des zones inondables, souvent un héritage familial qu’elles mettent en location une fois parties pour des villes plus attractives et compétitives.
LB – Justement, au sujet des villes sur lesquelles tu bases ton étude, pourquoi Alès et Porto peuvent-elles être qualifiées de villes en crise ?
DD – A Alès, on est au cœur d’un ancien bassin charbonnier, les mines de charbon employant à l’époque plus de 20 000 ouvriers, sans compter toutes les activités économiques en lien avec l’exploitation du charbon. La désindustrialisation de la France a provoqué la fermeture des mines et de l’industrie de métallurgie, et Alès a perdu de son attractivité. Aujourd’hui la région essaye d’attirer de nouvelles activités capables de créer de la richesse à l’échelle locale, mais le renouvellement est encore assez lent. (…) C’est une ville qui a perdu son image de marque et qui a des difficultés à attirer une population créative. Les inégalités se creusent, il reste quelques cadres mais la plupart sont attirés par de plus grandes villes et la population ouvrière ou anciennement ouvrière, elle, reste.
LB – Et à Porto, tu rencontres le même contexte ?
DD – A Porto on est sur une crise économique un peu différente, c’est d’abord une ville riche et très touristique mais qui a souffert de la crise immobilière de 2008. On rencontre une néo-pauvreté, c’est-à-dire les classes moyennes qui se sont retrouvées avec un salaire divisé par deux, en plus des populations ouvrières qui ont perdu leurs emplois.
LB – Tu parlais de la dimension productive de l’agriculture urbaine dans ces villes en crise. J’ai du mal à imaginer quelles formes cela peut prendre dans des petites parcelles de jardins, est-ce que ces jardiniers produisent assez pour se nourrir, voire vendre leurs produits ?
DD – Tout à fait, la vente directe se pratique et est visible dans la ville par des panneaux « produits à vendre » par exemple. Ce qui permet cette productivité, c’est l’espace mobilisé par les habitants, on peut presque parler de micro-fermes dans certains cas. Et surtout ce sont des personnes qui y passent la totalité de leur temps en journée, la pratique agricole devient leur métier finalement.
LB – Une stratégie possible pour s’en sortir dans les villes en crise c’est donc d’investir un jardin et de devenir une sorte d’agriculteur informel ?
DD – Oui, c’est en tout cas une stratégie adoptée par un certain nombre. La question se pose alors de la limite entre jardinier amateur et agriculteur : dans les villes en crise, cette limite est très floue au vu de la productivité et du temps passé à cette activité. (…) Il y a l’objectif de produire le plus possible en dépensant le moins possible donc en passant par de la récupération, et surtout en se barricadant. Les jardins sont fermés par des fils barbelés, parfois trois barrières successives ou un molosse qui protège les récoltes. Ça prouve à quel point la production est importante et une source de richesse indispensable.
LB – Est-ce que dans ces cas-là, on peut dire que l’agriculture urbaine est en mesure de nourrir les villes ?
DD – Je ne crois pas que les villes puissent être auto-suffisante en termes de production alimentaire. En revanche, ces pratiques permettent de repenser les liens entre les villes et leur périphéries en créant de nouveaux flux sociaux et économiques liés à l’alimentation et d’amener les populations urbaines à s’intéresser à la production des récoltes qu’ils consomment. Ces agriculteurs informels répondent aussi à une demande de produits spécifiques peu commercialisés dans la région : menthe, petits piments et autres indispensables de la cuisine nord-africaine. Il existe une grande communauté d’origine algérienne à Alès, et l’agriculture urbaine informelle permet aussi de répondre à ces demandes localisées.
LB – On entre dans une nouvelle façon de penser la ville et la consommation alimentaire en ville.
DD – Oui mais ce que je trouve le plus important à valoriser dans les pratiques d’agriculture urbaine que j’observe tient davantage du droit à la ville : il n’y a pas que les planificateurs de l’espace urbain qui font la ville, ce sont également ces citoyens qui se réapproprient cet espace. La valorisation sociale de ces pratiques est au moins aussi importante que la valorisation économique, par la création de réseaux d’entraide par exemple. Ce sont également des lieux de créativité inédits, où l’innovation est omniprésente. Jardiner devient un acte fortement politique à l’échelle locale pour ces citoyens, ce sont eux qui composent la ville par leurs pratiques quotidiennes.
La psychologie environnementale est une discipline trop méconnue, qui a pourtant son rôle à jouer dans la résolution de la crise écologique que nous traversons. En se focalisant sur la façon dont les individus perçoivent et agissent sur leur environnement, cette branche de la psychologie est indispensable pour mieux comprendre les pratiques écologiques – ou anti-écologiques – observables dans nos sociétés. Experte de la discipline, Isabelle Richard nous offre plusieurs illustrations de la portée de ses recherches, qui ont permis d’expliquer les mécanismes de réactions comportementales face aux risques d’inondation ou aux nouvelles pratiques de mobilité durable. Lire la suite Isabelle Richard : qu’est-ce que la psychologie environnementale ? (podcast)